23.11.2023
Quelles clés pour se réinventer et relever les défis de la décennie du nucléaire ?
Le WNE est le rendez-vous incontournable de la filière nucléaire mondiale. Entre besoins grandissants, exigences de performance et innovations technologiques, ce secteur continue de répondre à des critères bien spécifiques pour garantir des infrastructures sûres et performantes. Décryptage avec Haïkel Ben Aoun Simões, Coordinateur du réseau international nucléaire d’Equans.
Pourquoi le défi du nucléaire est-il redevenu si prégnant aujourd’hui ?
Électrification, mobilité, chauffage, data centers, gigafab, industrie : la décarbonation de notre modèle implique une conversion généralisée des usages, des énergies fossiles vers les énergies bas carbone, et devrait engendrer un boom important de la consommation électrique dans les années à venir. Pour accompagner cette transition, tout en anticipant le vieillissement des réacteurs à horizon 2040-2050, le nucléaire est appelé à jouer un rôle pivot aux côtés des énergies renouvelables. A titre d’exemple, plus d’une dizaine de réacteurs EPR seront nécessaires pour assurer les besoins en électricité décarbonée de la France, estimés à 27 GW supplémentaires selon RTE d’ici 2050. Les besoins européens sont d’autant plus importants. Le défi à relever est immense, à la mesure des besoins anticipés et des délais très courts impartis, et il concerne tout un écosystème. En complément des installations, la production, la gestion et la recherche sur le combustible nucléaire est un autre enjeu central. Et là aussi, l’ambition de durabilité se traduit par le recyclage du combustible. Pour la filière, c’est une obligation de résultats afin de maintenir sa capacité industrielle et économique tout en répondant aux enjeux climatiques.
Pour Equans, entreprise de services multi-techniques pouvant s’appuyer sur un track record de près de 200 installations nucléaire en France, en Europe et dans le monde ces 50 dernières années, c’est une nouvelle occasion de continuer à démontrer ses capacités, son leadership et son engagement à mener des projets dans la durée au service de la transition énergétique.
Quelle approche métier est la mieux adaptée aux contraintes de ce secteur sensible ?
Sûreté et Sécurité au travail sont les maîtres mots de nos métiers au quotidien. Ingénierie, génie électrique, climatique et mécanique, la construction, la modernisation et la maintenance des installations exigent des compétences propres pour garantir des infrastructures sûres et performantes. Chaque technicien, des entités Françaises INEO Nucléaire, Axima Nucléaire, ECIA, Mecanuc, d’Equans Belgique, et d’Equans UK, qui intervient sur un site nucléaire, donc par définition sensible, doit être un expert de son domaine. Réseaux électriques, ventilation, tuyauterie, connexion, mise en service, design : pour chaque opérateur, la qualité de l’intervention est la règle.
Dans les métiers du nucléaire, il faut maîtriser tous les gestes sur le bout des doigts.
Chez Equans, nous sommes résolument engagés dans cette approche verticale avec des entités hyperspécialisées et complémentaires entre elles. Résistance aux températures, prise en compte des radiations, de l’encombrement ou encore de la pression, l’installation d’un tuyau dans une installation nucléaire requiert un savoir-faire unique. Il en va de même dans la gestion des réseaux. Une erreur de câblage dans ce type d’installation est tout simplement inenvisageable.
La formation est donc un enjeu majeur pour permettre à l’ensemble de la filière de répondre présent dans les années à venir au programme France et réussir à relever le défi de l’Europe du nucléaire. Pour ce double enjeu, nous avons créé nos propres académies de formation nucléaire, elles aussi spécialisées avec l’AFEN pour le génie électrique, l’EVN pour la ventilation, l’ECIA Academy pour l’ingénierie auxquelles on peut ajouter l’ECS dédiée à la sûreté en Belgique. Chaque année, près de 500 collaborateurs bénéficient de ces formations opérationnelles et techniques, soit près de 10 % de nos effectifs actuels.
Peut-on encore innover dans des process très normés ?
Le respect d’un calendrier serré pour garantir une production suffisante à horizon 2040 passe par des méthodes innovantes, notamment dans le management de projet. Les solutions digitales s’imposent d’ores et déjà avec des technologies comme le BIM et les maquettes 3D, 4D (analyse des temps), et 5D (analyse des coûts). Scanner la réalité du terrain pour la modéliser permet d’accroître la proximité avec le chantier. Cela peut nous permettre de concevoir, préfabriquer et monter en usine « à blanc » pour ajuster les assemblages puis de remonter les ensembles « bon du 1er coup » sur nos chantiers dans des délais optimisés et avec une parfaite maîtrise de la qualité. La coordination entre les multiples opérateurs est simplifiée et optimisée puisqu’il est possible de définir les opérations au millimètre près.
Sur des projets qui s’étalent dans le temps, entre la conception initiale et la construction technique, il est précieux d’avoir une connaissance exhaustive de tous les équipements. A l’image des médecins pour qui les muscles et les os n’ont pas de secrets, les opérateurs doivent pouvoir savoir précisément les éléments à changer dans le cadre d’une maintenance par exemple. Pour la construction d’une installation, ces solutions digitales facilitent les séquences de montage. Nous sommes entrés dans l’ère du technicien augmenté ou technicien 4.0.
La maintenance prédictive ouvre aussi des perspectives intéressantes pour optimiser les interventions sur le plan technique et économique.
En collectant, traitant et analysant des données, il est possible de réduire la durée des arrêts de production lors des opérations de maintenance. Ce bouquet de solutions contribue à rendre le nucléaire compétitif et performant. Cette trajectoire vertueuse est enclenchée en France, mais aussi dans de nombreux autres pays d’Europe comme la Belgique, les Pays-Bas, la République Tchèque, la Hongrie, la Pologne ou encore le Royaume-Uni.