22.06.2023
Coup d’accélérateur sur l’autoroute électrique
L’urgence de la décarbonation du transport routier mobilise aujourd’hui tous les acteurs pour identifier et expérimenter les meilleures technologies, alliant bénéfices environnementaux et économiques. Le verdissement du secteur est au cœur de multiples innovations parmi lesquelles les systèmes de recharge dynamiques pendant le trajet.
Décryptage avec Pascal Gessat, Directeur Transport chez Equans France.
Quels sont les enjeux de l’ERS (Electric Road System) ou routes électriques ?
En France, 9 % des émissions de CO2 proviennent du fret routier selon une étude publiée par The Shift Project en 2022. Alors que le plan « Fit for 55 » de la Commission Européenne et la Stratégie Nationale Bas Carbone adoptée par la France doivent permettre d’atteindre l’ambition de la neutralité carbone à horizon 2050, le transport routier de marchandises représente un levier de décarbonation majeur. Le passage du thermique à l’électrique pour les camions soulève des difficultés importantes avec des batteries chères, lourdes et volumineuses, ce qui réduit la charge utile des véhicules et augmente les coûts de transport. En outre, leur fabrication entraîne une empreinte carbone importante nécessite un approvisionnement massif en métaux tels que le lithium, cobalt, nickel...
Le principe de l’ERS est simple : permettre à des camions de capter de l’électricité sur des tronçons autoroutiers pour leur permettre d’avancer tout en rechargeant leurs batteries. Le trafic est concentré sur certains axes routiers. Aussi, il suffit d’équiper une petite portion du réseau pour entraîner une réduction très importante des émissions. En Allemagne, les premiers tests réalisés montrent que l’équipement de 3 % du réseau permet de décarboner le fret routier à hauteur de 60 %. Par son efficacité, ce levier ouvre donc des perspectives majeures.
Il existe aujourd’hui plusieurs technologies pour électrifier le réseau : par caténaires, rails ou induction intégrés dans la chaussée. Les essais déjà en cours dans certains pays d’Europe et qui vont se prolonger dans les prochains mois en France doivent permettre d’en tester la robustesse et de définir un cadre administratif préalable à son déploiement.
La réussite de la transition de la mobilité nécessite d’actionner un autre levier stratégique, l’infrastructure elle-même. Avec une consommation électrique en forte croissance, les appels de puissance sur un réseau limité devront être maitrisés ou lissés. Permettre aux poids lourds d’avoir accès à une énergie pendant le roulage offre la possibilité de répartir dans le temps la distribution d’énergie en évitant le regroupement des recharges en bornes à heures fixes et en fast-charging.
Comment choisir une technologie en particulier ?
Il faudra sans doute un mix technologique, répondant à des usages différents. Toutefois, toutes ne présentent pas le même niveau de maturité et décarboner la route doit devenir une priorité. De fait, l’utilisation de caténaires offre aujourd’hui de nombreux avantages. C’est une technologie mature qui équipe déjà une diversité de véhicules routiers comme les tramways ou encore les bus. Ces derniers se rapprochent des caractéristiques des poids lourds. Équiper les camions d’un pantographe pour capter l’électricité n’entraîne pas de surcoûts déraisonnables. Et comme l’électricité se capte très bien en roulant, il est possible de répondre aux besoins énergétiques pour avancer mais aussi pour faire le plein des batteries. Ainsi, en quittant l’autoroute électrique, les camions peuvent continuer à rouler grâce à leurs batteries et à décarboner le transport routier jusque dans le fameux « dernier kilomètre », au cœur des villes et des zones d’activités.
Sur le plan opérationnel, la technologie par caténaire issue du ferroviaire bénéficie d’une longue expérience, en particulier grâce au tissu industriel français. Si la maturité de cette technologie s’impose, la question de l’interopérabilité aux frontières et de l’harmonisation au sein de l’Union Européenne est un défi à relever collectivement.
Quelles sont les perspectives de déploiement des routes électriques en France ?
Le cap fixé pour réduire nos émissions en 2030 puis 2050 nous oblige à agir vite. Les phases de recherche et développement sont aujourd’hui validées et nous en sommes à celle des essais grandeur nature. L’Allemagne, la Suède, la Belgique et la Grande Bretagne commencent à déployer de premiers tronçons. En France, le déploiement des premières caténaires est imminent. Un appel à projets piloté par le Gouvernement est en cours et doit livrer ses conclusions à horizon 2025 après une phase d’expérimentation en route ouverte.
Par ses compétences et savoir-faire, Equans est engagé dans des consortiums impliquant les différents acteurs publics et privés, notamment les fabricants de poids lourds. Nos experts travaillent sur des business modèles consolidés pour transformer l’essai. Parce que les marges des transporteurs routiers sont faibles, la dimension économique est évidemment centrale : le coût de la recharge dynamique ne doit pas être supérieur à celui de l’énergie actuelle. Il faut prendre en considération l’ensemble des éléments économiques : achat du camion, carburant, assurance, entretien... Et la tendance est renforcée par le contexte international. Mais les modèles prévisionnels confirment le potentiel de rentabilité pour le secteur.
Au-delà de l’aspect technologique et financier, le développement de ces autoroutes électriques pourrait être accéléré par la disponibilité immédiate du foncier. Si l’installation de centrales nucléaires et de parcs solaires et éoliens nécessite une transformation de l’espace et notamment des terres agricoles, les routes électriques sont déjà existantes et offrent des dépendances déjà aménagées. Cet atout pourrait contribuer à accélérer leur déploiement rapide.