Décarbonation du transport maritime
Comment réduire les consommations énergétiques des bâtiments maritimes tout en diminuant leur empreinte carbone, explication de Hervé Chesnel.
Avez-vous déjà remarqué qu'il y a parfois un souffle de climatisation lorsque vous êtes à bord d'un navire ? Hervé Chesnel, Directeur Technique Innovation des chantiers navals de Saint-Nazaire chez Axima Marine (une entité d’Equans) nous explique ! Il intervient à la fois pour la marine de croisière et la marine militaire afin de penser la CVC (climatisation, ventilation, et chauffage) à bord des navires, ce qui impose plusieurs contraintes par rapport aux bâtiments terrestres.
En quoi les contraintes environnementales diffèrent-elles entre la construction de bâtiments terrestres et celles de navires de croisière ?
Bien qu'il s'agisse du même métier, les bases sont similaires, mais les contraintes environnementales diffèrent radicalement. La première contrainte est le climat. Lorsqu’on construit un bâtiment terrestre, il est conçu pour un climat local, disons 32°C maximum et -5°C minimum. En revanche, un navire de croisière est conçu pour un climat tropical, chaud et humide, mais également pour un climat extrême comme le nord, à -20°C. Ces conditions imposent donc des critères de dimensionnement très variés.
En plus des contraintes climatiques, quelles autres spécificités faut-il prendre en compte pour concevoir la CVC d’un navire ?
Au-delà des conditions climatiques, les navires sont soumis à des régulations internationales, comme la règle SOLAS (Safety of Life At Sea) qui définit les normes de sécurité incendie pour les navires. Ce cadre réglementaire international différencie nettement les installations marines des installations terrestres Aujourd'hui, le monde du transport maritime se décarbone, ce qui pose un certain nombre d'enjeux énergétiques.
Justement, comment le secteur maritime aborde-t-il la décarbonation ?
À ce jour, le transport maritime représente environ 3 % des émissions de gaz à effet de serre, équivalent aux data centers, au transport aérien, ou à l'empreinte carbone du Japon. Le secteur maritime qui est un acteur majeur du commerce mondial se mobilise pour y répondre. Cette proportion pourrait atteindre 17 % d'ici 2050 en raison de la croissance des échanges mondiaux, puisque 90 % des marchandises sont transportées par voie maritime. Dans un navire, le principal facteur d'émission de carbone est la propulsion. Les armateurs s'intéressent depuis des années aux solutions possibles pour décarboner ce poste de dépense énergétique. D'un point de vue technique, on peut utiliser la force du vent en déployant des voiles, ou mettre en place un système de bullage sous la coque pour limiter la traînée des navires. On peut aussi réduire la vitesse et améliorer le routage des navires pour réduire leur empreinte carbone. La propulsion n'est pas le seul levier de décarbonation. La climatisation, la ventilation et le chauffage, ce qu'on appelle aussi l’« HVAC », sont également de grands postes de consommation d'énergie.
Quelles solutions avez-vous développées pour réduire l’empreinte carbone de la CVC ?
Notre première action a été d'essayer de comprendre d'où venaient nos sources d'énergies dépensées pour l'HVAC. Pour ce faire, nous avons développé différents outils.
Le premier, un outil appelé « CoTools », nous a permis de calculer l'empreinte carbone de nos installations appliquées au milieu maritime, avec une vocation plus commerciale pour définir cette empreinte et travailler sur des options techniques.
Dans cette dynamique, nous avons créé un second outil destiné à définir le profil de consommation énergétique d'un navire pour comprendre l'environnement et évaluer le pourcentage d'énergie consommée, avec un focus sur notre installation HVAC.
Ces deux outils nous ont permis de constater que l’enjeu majeur de l’HVAC est la consommation énergétique. Le deuxième outil nous a permis de constater que, pour un navire à passagers, nous sommes le deuxième poste de consommation énergétique, représentant presque 85 % de la consommation à terre.
La consommation énergétique diffère donc selon s’il est à quai ou en mer, mais de quelle manière ?
Un navire de croisière consomme de l'énergie en mer, mais aussi quand il est à l'arrêt. Durant les escales, les passagers sortent pour visiter le port, mais le navire continue de fonctionner pour ceux qui restent à bord et l’équipage.
Sur un navire de 7 000 passagers, il y a environ 3 000 membres d’équipage, donc les cuisines, blanchisseries, et l’hôtellerie fonctionnent pour préparer les repas du soir. Le bateau est une petite ville, et continue de fonctionner quand il est à quai, donc le besoin de climatisation reste constant, seule la propulsion disparaît.
Quand le navire reprend la mer, la consommation énergétique globale du navire est multipliée par 6 ou 7, due à la propulsion.
Quels sont les défis actuels pour réduire la consommation énergétique de la CVC à bord ?
Nous suivons, en partie, ce qui a été vécu dans le terrestre, où la réflexion sur la consommation énergétique est plus poussée avec des réglementations différentes.
Aujourd'hui, avec ces avancées, nous travaillons sur des produits et équipements permettant une meilleure performance énergétique. Nous intégrons aussi des systèmes automatiques qui optimisent les dérives énergétiques de nos systèmes et interrogeons nos pratiques. Une contrainte du maritime est la compacité, un des motifs de design de la CVC étant de faire des installations compactes. Pour atteindre cet objectif, on a tendance à utiliser des réseaux à haute vitesse, consommant beaucoup d'énergie pour véhiculer l'eau, l'air, ou les fluides caloporteurs.
L'une des pistes est de réduire les vitesses pour moins consommer, mais cela prendrait plus de place dans les navires. Il y a donc une remise en question du design pour essayer de réduire ces consommations et concevoir des équipements performants, peu polluants et compacts.
Votre travail vous passionne visiblement. Qu’est-ce qui vous attire dans ce domaine ?
J'aime la technique, c'est ce qui m'a construit professionnellement, j'aime comprendre comment fonctionnent les choses et faire en sorte que le schéma de fonctionnement que j’ai en tête soit en adéquation avec ce que je conçois.
Ce qui m'a attiré dans la marine, c’est la responsabilité de notre design. Il y a très peu d'intermédiaires entre nous et le chantier, contrairement à l’organisation terrestre. Nous concevons et sommes responsables de nos designs, ce qui est important pour moi. Cela implique aussi une responsabilisation et une projection sur l’objet qu’on conçoit. Par exemple, pour les premiers porte-hélicoptères fabriqués à Saint-Nazaire, en cas de risque bactériologique ou chimique, le navire se pressurise pour empêcher l'entrée de gaz toxiques. C’était nouveau à l’époque, et il fallait se projeter sur cette utilisation.
Le secteur militaire partage-t-il aussi cette volonté de réduire sa consommation énergétique ?
Bien que l'exigence numéro 1 pour un navire militaire reste son opérabilité, c'est-à-dire sa capacité à fonctionner quelles que soient les conditions, la consommation énergétique est de plus en plus prise en compte dans les cahiers des charges. Ce critère, discuté avec les clients, amène à évaluer si les solutions économes en énergie sont techniquement réalisables. C’est une force que de pouvoir proposer des idées novatrices ayant un potentiel à long terme.
Vous semblez être un transmetteur passionné. Est-ce important pour vous de partager votre savoir ?
Expliquer est difficile, il faut utiliser des formulations simples pour des concepts de physique, et parfois avoir des représentations graphiques originales de certains phénomènes. Sur mon temps libre, je dessine et peins un carnet de voyage, y intégrant souvent des textes, des images issues de mes rêves, de mes phobies et pensées.